samedi 20 janvier 2007

Au delà des paradoxes...

L'univers de Supervielle est d’abord un monde de métamorphoses perpétuelles, où les contraires coexistent tout naturellement ; la vie, par exemple, n’y est présente que dans son intime relation à la mort. Les morts et les vivants se côtoient. La mémoire est indissociable de l’oubli. La matière n’a pas plus de consistance qu’un nuage qui s’effiloche. Est-elle différente de l'esprit ? De même, il paraît n'exister ni début ni fin de l'univers, des êtres et des choses car tout y est transformation, métempsycose continuelle. Y a-t-il une essence derrière les apparences ou existe-t-il seulement un univers sensible ? Dieu est-il transcendant ou immanent, créateur du monde ou simple témoin, existant ou non-existant ? Il semble que toutes ces notions contraires doivent être dépassées car elles sont en réalité interdépendantes. Supervielle laisse en tout cas ces ambiguïtés planer sur son univers tout entier. Et le vertige, très souvent, s’empare du poète.

Oublieuse mémoire...

Le hors-venu

D'où venez-vous ainsi couvert de précipices
Avec plus de ravins que chaîne de montagnes ?
Qui vous approche sent qu'un vertige le gagne
Que, du haut de votre altitude abrupte, il glisse,
Vous qui sortez vivant de la géologie
Comme d'un cauchemar de grottes et de strates,
Allant du rose exsangue au plus pur écarlate,
Dans l’éboulis de vos roches mal assagies.
Venez, asseyez-vous du côté de la plaine
Et regardez monter une lune sereine !
Au sortir de la nuit, buvez ce verre d'eau,
II fait sourdre la vie et ferme les tombeaux.
Des oiseaux mieux qu'oiseaux émanent des buissons
Pour aller au-devant de leurs claires chansons.
Reconnaissez-vous là les signes et les mythes
De ce qui espérait en vous, dans l'insolite ?
La brise sentez-vous de la métamorphose
Ouvrant la fleur secrète et délaissant la rose ?