lundi 25 juin 2007

Le Voyage Difficile (extrait du "Forçat Innocent")


A Christian Sénéchal

Sur la route une charrette,
Dans la charrette un enfant
Qui ne veut baisser la tête
Sous des cahots surprenants.

La violence de la route
Chasse l'attelage au loin
D'où la terre n'est que boule
Dans le grand ciel incertain.

Ne parlez pas : c'est ici
Qu'on égorge le soleil.
Douze bouchers sont en ligne,
Douze coutelas pareils.

Ici l'on saigne la lune
Pour lui donner sa pâleur,
L'on travaille sur l'enclume
Du tonnerre et de l'horreur.

« Enfant cache ton visage
Car tu cours de grands dangers.
— Ne vois-tu pas, étranger,
Que j'ai un bon attelage.»

Garçons des autres planètes
N'oubliez pas cet enfant
Dont nous sommes sans nouvelles
Depuis déjà très longtemps.


Sous quelle fougère où dort un insecte
Votre âme cherchait sa couleur première ?

C'était par quelque temps d'éclipse,
Seul au monde un frisson, un sourire triste.

De temps à autre toute une biche
Entre le feuillage s'en venait voir,

Puis s'éloignait sous la surveillance d'un songe
Qui la couvrait d'herbes, de ronces,

Et toujours prête â revenir.


Le soleil parle bas
A la neige et l'engage
A mourir sans souffrir
Comme fait le nuage.

Quelle est cette autre voix
Qui me parle et m'engage ?
Même au fort de l'hiver
Serait-ce la chaleur
Qui fait tourner la Terre
Toujours d'un même coeur,

Et, pour me rassurer,
Dans toutes les saisons
Se penche à mon oreille
Et murmure mon nom ?


Dans la forêt sans heures
On abat un grand arbre.
Un vide vertical
Tremble en forme de fût
Près du tronc étendu.

Cherchez, cherchez, oiseaux,
La place de vos nids
Dans ce haut souvenir
Tant qu'il murmure encore.