lundi 22 janvier 2007

LIENS ENTRE SUPERVIELLE ET OLORON-SAINTE-MARIE

Cette ville représente pour lui, avant tout, le pays de son père et de ses ancêtres paternels. Dans le poème intitulé « Oloron-sainte-Marie », il se met en quête de ces disparus qu’il n’a pas connus mais dont il se sent pourtant proche : « Comme du temps de mes pères » ; « c’est la ville de mon père ». Sont nés à Oloron son grand-père paternel (1817), bijoutier-horloger-orfèvre et son père, Victor Jules Supervielle (1854). Son grand-père s’est d’ailleurs marié à Oloron (1847).

C’est ensuite la ville où ses parents sont morts, en 1884, sans doute empoisonnés par l’eau d’un robinet vert-de-grisé, alors qu’il n’avait que neuf mois ; c’est là qu’il revient, en 1926, en pèlerinage en compagnie du poète Henri Michaux, son ami. C’est ainsi que naîtra, l’année suivante, la plaquette de vers intitulée « Oloron-sainte-Marie » (soit 26 poèmes !) - plaquette ensuite (en 1930) intégrée à un recueil majeur : Le Forçat innocent. Il revient à Oloron en 1929 pour y prendre des notes afin d’évoquer ses impressions dans son recueil autobiographique : Boire à la source. C’est encore à Oloron qu’il songera, en 1939, lors de la guerre civile espagnole et à l’approche de la seconde guerre mondiale, lorsqu’il publiera dans la Nouvelle Revue Française les poèmes regroupés sous le titre : « Des deux côtés des Pyrénées ». Ces poèmes seront repris dans la section « Poèmes de la France malheureuse », dans le recueil 1939-1945.
C’est aussi le pays qui symbolise l’entre-deux-mondes imaginaire où, constamment, se trouve le poète ; les Pyrénées forment à la fois une frontière et un lien entre des pôles opposés que Supervielle aspire à se faire se rejoindre : entre la terre et le ciel, les vivants et les morts, la mémoire et l’oubli, mais également entre la France et l’Uruguay, ses deux patries, entre lesquelles il se sent comme écartelé. Partout, Supervielle se sent exilé, déraciné. Il est une sorte de survivant, de passager ; Oloron est donc un lieu d’errance, de passage, de quête essentielle. D’où cette ambivalence du paysage pyrénéen :
- D’une part, un mouvement descendant, plutôt pessimiste, qui suggère la chute dans le gouffre de la mort : on peut observer la verticalité abruptement militaire des montagnes (« leurs rugueuses cohortes ») qui s’abaissent pour former une muraille infranchissable entre le poète et les défunts, apparaissant dans le même temps comme des sentinelles qui interdisent le passage vers l’au-delà ; mais aussi l’écoulement aveugle (« paupières basses ») du gave descendant les pentes rocheuses : il symbolise le temps qui s’écoule inexorablement et l’oubli qui s’empare des vivants, ainsi poussés à rejoindre le pays silencieux des morts.
- Mais, d’autre part, se produit un mouvement ascensionnel, plus optimiste : il s’agit d’un élan vers les défunts, permis par le versant montant de la ville d’Oloron. Le poète gravit la pente des « rues », des escaliers qui le conduisent à des « étages ». Il pénètre alors un monde onirique où s’effacent les frontières entre le dedans et le dehors : « J’entre sans frapper dans des chambres que traverse la campagne »… ; entre le je et le paysage : « Ces étages font de moi comme un sentier de montagne ». Puis le poète gagne les « toits d’ardoise », vaste plate-forme où les morts sont susceptibles de se rassembler et de communiquer avec lui.
Cependant, rien n’est simple dans le paysage mi-réel, mi-imaginaire, des Pyrénées. Au cours du poème, le mouvement descendant devient bénéfique ; comme si les Pyrénées étaient alors la barrière rassurante qui protégeait le poète des défunts désirant l’attirer à lui, le gave se fait implicitement le symbole de la vie qui s’écoule : « Prions pour le ruisseau de vie / Qui se presse vers nos prunelles. » A l’inverse, le mouvement ascendant devient néfaste - le dialogue avec les morts se transformant en une supplication adressée par le poète à son propre squelette qui le pousse vers la mort : « Il ne faut pas songer encor / A la flûte lisse des morts. » L’univers poétique de Supervielle est essentiellement ambigu.
Jules Supervielle est enterré (depuis 1960), ainsi que sa femme Pilar (1976), dans le cimetière de Sainte-Croix, à Oloron-sainte-Marie. Une belle épitaphe, tel un concentré de son oeuvre tout entière, est gravée sur la tombe : « Ce doit être ici le relais / Où l’âme change de chevaux. » (Vers extraits du poème « Le relais », dans 1939-1945).

En 1971, la ville d’Oloron a rendu hommage au poète à l’occasion de l’inauguration du lycée qui porte son nom.
En 1990, la ville d’Oloron a créé un prix de poésie Jules Supervielle, dont les premiers lauréats ont été des poètes illustres comme Alain Bosquet, qui se réclame ouvertement du poète, Eugène Guillevic et Henri Thomas, dont la simplicité apparente de langage n’est pas sans évoquer les textes de Supervielle, ou encore Jean Grosjean dont l’inquiétude spirituelle semble faire écho à celle du poète.